Le besoin d'être pardonné | Tobias

Je crois qu'il est temps que j'arrête d'avoir peur. Je ne peux tout simplement pas garder ça pour moi. Les deux nouvelles que je dois lui annoncer… La raison de mes nausées mais surtout, ce qui est arrivé sans qu'il ne le sache. Comment faire ? J'en ai aucune idée. Mais il est l'homme de ma vie et il est temps que je le lui prouve. Des semaines que je cache ça au fond de ma mémoire en espérant que ça disparaisse. Mais je ne peux plus continuer ainsi. Ma conversation avec le Révérend m'a aidé à le comprendre. Ok, ma décision est prise et je marche vite dans les rues de Maycomb, pressé de retrouver mon cher et tendre. Je sais qu'il n'est pas au café ce soir et c'est l'occasion parfaite pour aborder un tel sujet. J'ai le rouge aux joues, je suis impatiente et en même temps, je n'ai jamais eu aussi peur de toute ma vie. Arrêter quelqu'un, à côté, c'est de la gnognote. Tobias est toujours celui qui a compté sur moi. Alors j'ai si peur de le décevoir. Est-ce égoïste de lui en parler ? Je ne me croyais pas capable ni de le tromper, ni de lui mentir. Il faut que je rétablisse tout ça. Que j'arrête maintenant. Pour qu'on puisse aborder l'avenir sereinement ensemble.

Me voilà dans notre quartier et je cours presque jusqu'à la porte, mon énergie débordante ne me faisant jamais défaut, surtout lorsque je suis guidée par mes émotions. J'ouvre la porte en trombe, la referme presque en la claquant et fais peur à notre chat. «  Toby ?! Tu es là ? » Je veux savoir dans quelle pièce il est pour pouvoir plus vite lui sauter dessus. Des semaines qu'on se parle moins, qu'on sort à peine, que je me renferme sur moi-même. S'est-il douté de quelque chose, alors qu'il est bien occupé par son café à chat que j'aime tant ? Dès que j'entends sa voix, je fonce dans sa direction pour l'enlacer avec force et le couvre de baisers papillon avant de l'embrasser avec fougue. Je reprends enfin mon souffle pour rester dans ses bras, dans son odeur, parfaitement comblée d'amour. Si seulement je n'avais rien à lui dire. Si seulement, ça pouvait rester comme ça. J'ai du mal à le lâcher mais je finis par le faire à contre-coeur, si heureuse de passer une soirée tranquille avec lui. Enfin, c'est ce qui était au programme mais maintenant que j'ai pris ma décision, me voilà un peu plus penaude.

« Tu as passé une bonne journée mon chéri ? » Je commence doucement, m'éloigne de lui et prend l'un des derniers cupcakes que j'ai fait qui traîne dans un plat. Le sucre a toujours été mon meilleur allié. Je l'écoute avec grande attention, si fière de lui. Si heureuse qu'il soit dans ma vie. Je savoure chaque seconde. Et je garde ma résolution en tête. Car je ne peux plus reculer maintenant. Continuer de vivre ainsi, ce serait continuer de le trahir. Je lui dois la vérité. Quoi que cela m'en coûte… Je ravale cette idée amère en croquant dans ma pâtisserie, prête à aborder le sujet d'une manière ou d'une autre. Où devrais-je dire : les sujets. « Est-ce qu'on peut s'asseoir un peu tous les deux ? Il y a des choses que j'aimerais te dire. » Ma voix est posée, je suis heureuse qu'elle ne parte pas encore dans les aigus à cause de mes émotions sous-jacentes. J'ai ma main sur mon ventre. Et c'est quand je le regarde que ça devient si difficile. Je ne veux pas lui faire de mal. Cette idée m'effraie au plus haut point. J'en perdrais presque mon courage. Mes yeux sont soudainement baignés de larmes. Zut ! Foutu hormones de grossesses qui font n'importe quoi ! « Je… Je… Wouah. Ça va vraiment être plus difficile que ce que je pensais…  » Fébrile, je baisse la tête, essuie les larmes au bord de mes yeux. Est-ce que tu me donneras le courage de te parler Toby ? Alors que je suis certainement celle qui va te briser le cœur ?

Je suis chez moi, enfin chez nous, affairé en cuisine à préparer une surprise pour Rachel. La musique accompagne mes gestes, et tout en concoctant un petit repas, je danse et chante en même temps. J'ai vraiment envie de faire plaisir à ma petite amie. Ces dernières semaines ont été étranges entre Rachel et moi. Nos échanges sont devenus moins fréquents, nos sorties rares. C'est pourquoi ce soir, j'ai décidé de fermer le Cattocino un peu plus tôt, une tentative pour raviver la flamme entre nous, pour ramener un peu de cette intimité qui semble s'estomper ces derniers temps. Le bruit familier de la porte qui s'ouvre brusquement me fait presque sursauter, et Peanuts fait un petit bond. Rachel m'appelle doucement, me demandant si je suis là, débordante d'énergie et d'enthousiasme. « Je suis dans la cuisine... » Elle se précipite vers moi pour m'envelopper dans ses bras et m'embrasser. Mon étreinte se serre contre elle, et je lui rends son baiser, un sourire aux lèvres. Même si depuis quelques temps on ne se voit plus tellement, cela n'empêche pas que quand on se retrouve, je peux sentir à quel point on s'est manqués l'un l'autre... Après cette étreinte bienvenue, elle rompt le silence, cherchant à en savoir un peu plus sur ma journée.

Rachel me demande ensuite, si j'ai passé une bonne journée. Je lui souris doucement avant de lui faire un bref résumé. « Oh, tu sais, la routine habituelle au Cattocino. Mais une bonne nouvelle car Sparrow a été adopté. Et toi, comment s'est passé ta journée ? » Mon visage s'illumine en partageant cette nouvelle, heureux que ce petit chat au destin singulier a enfin trouvé un foyer. Avec un seul œil et sans queue, j'avais peur que personne ne veuille l'adopter...  À peine ma phrase terminée, Peanuts, notre chat, se joint à la fête, ronronnant et frottant sa fourrure contre nos jambes. « Et toi, Peanuts, tu as été sage aujourd'hui ? » Je ris en le caressant. Cependant, en relevant les yeux vers Rachel, je remarque une lueur d'intrigue dans son regard malgré son sourire. Au même moment, elle me demande si on peut s'asseoir un peu tous les deux, ajoutant qu'il y a des choses qu'elle aimerait me dire. Mon sourire s'estompe légèrement. On se dirige vers le canapé, et je prends la main de Rachel, ressentant une petite inquiétude. Peanuts se blottit à nos pieds, comme s'il pressentait quelque chose d'important...

Elle confie que cela va être plus difficile que ce qu'elle pensait. Puis, comme submergée par l'émotion, elle baisse la tête, les larmes au bord de ses yeux. Mon cœur se serre douloureusement à la vue de sa peine. Doucement, je glisse mon index sous son menton pour croiser son regard. « Rachel, quoi qu'il se passe, nous surmonterons cela ensemble. Tu sais que tu peux tout me dire. » Je tente de lui offrir un sourire compatissant, mais l'angoisse persiste. En la voyant dans cet état, une inquiétude profonde m'envahit. Je tente de lui offrir un sourire. Je n'ai pas la moindre idée de ce qu'elle s'apprête à révéler, mais la connaissant je sais que c'est pas rien...

Il est là devant moi. Tout contre moi. Mon repère, mon double. Tobias a pris si naturellement cette place dans ma vie. Depuis toujours. Dès le moment où on s'est parlé. Il a été mon premier et unique amour. Et bien sûr qu'il l'est toujours, sinon je ne serais pas si bouleversé de devoir lui avouer mon double secret. Son visage rayonne quand il me parle d'une adoption au Cattocino. Comment résister à cette joie qui brille dans ses yeux ? « Oh c'est génial ! Sparrow vogue vers ses nouvelles aventures alors ! » Je plaisante avant de retrouver mon sérieux. Notre chat vient ronronner autour de nos mollets et c'est Tobias qui vient lui parler alors que je me contente de lui caresser un peu la tête avant de refroidir un peu l'ambiance. Il vient s'asseoir avec moi dans le canapé, je croque dans mon cupcake mais celui-ci ne me donne pas la même assurance que d'ordinaire. Les odeurs de cuisine commence à me donner la nausée… Alors qu'il est rentré plus tôt pour nous faire à manger, j'ai le cœur qui se sert. Des larmes qui trahissent mon désarroi face à la situation et voilà qu'il s'inquiète.

Tout lui dire ? Je le regarde dans les yeux, essuie mes joues avec la manche de ma chemise en tentant de ne pas le fuir. Je prends ses mains, je les serre. « Je le sais. Et pourtant, je ne l'ai pas fait. J'espère que tu pourras me pardonner ce que je m'apprête à te dire. » Oui, j'y mets les formes. Ça ne me ressemble pas. D'ordinaire, je suis un moulin à paroles en continue qui n'a pas de filtre, pas avec lui. Qui dit ce qu'elle pense, comme elle le pense. Avec une insouciance que je chéris, mais qui, avec les épreuves et la vie d'adulte en général, commence à se dissiper. « C'était le mois dernier, on est sorti entre collègues pour fêter l'affaire Weldorf. Tu te rappelles ? Je t'ai dit qu'on est allé en boîte de nuit : ce qui ne m'est pas arrivé depuis l'école de police.  J'ai beaucoup bu, j'ai rencontré des nouvelles têtes, l'ami d'un ami… Un cuisinier. On a parlé pâtisserie. » Je ne veux pas lui faire ça. Mais c'est trop tard. Le mal est fait. Je desserre mes mains des siennes pour le laisser libre de couper le contact. Cela doit être difficile à entendre, mais je ne perds pas courage. « J'ai tellement bu que je n'en étais plus très sure… mais Tobias… Je crois… Non… Je suis sure d'avoir… d'avoir…  »

Ok, je suis submergée. Je me déteste ! Et pourtant, je pense au regard du révérend. Ces paroles rassurantes : cela arrive à tout le monde un moment d'égarement. Je n'arrive pas à dire le mot alors je passe outre. « Je ne te l'ai pas dit car j'ai honte. Je m'en veux beaucoup d'avoir cédé à cette attirance. Je ne le connais même pas, je n'ai pas son contact et je ne lui ai jamais reparlé. » J'essuie une nouvelle fois mes larmes et prend un mouchoir dans un paquet sur la table basse pour me moucher bruyamment et tenter de me calmer. J'ai tellement mal au ventre, les idées en vrac. Je ne peux pas m'arrêter ici. Je ne le regarde plus, baisse les yeux et prend une autre inspiration. C'est si difficile d'évoquer mon état maintenant. Je ne dis rien de plus pour le moment, plongeant mon regard dans le sien, cherchant à voir comment il va. S'il a envie de rester près de moi ou si c'est un réflexe de rejet qui se manifestera. Tobias, parle-moi. On peut le gérer ensemble. Mais pour ça, j'ai besoin que tu envisages de me pardonner…

Je me sens le cœur serré en voyant Rachel ainsi, submergée par ses émotions et rongée par la culpabilité. Son regard, d'ordinaire si lumineux, est voilé par la détresse, et je sens mon propre cœur se serrer en réponse à sa peine. Quand elle plaisante sur l'adoption de Sparrow, j'essaie de me laisser emporter par son enthousiasme, mais quelque chose dans son ton me met mal à l'aise. Je sens le changement dans l'atmosphère, et mon inquiétude grandit à mesure que Rachel trouve le courage de me révéler ses secrets. Quand elle prend enfin la parole, je l'écoute avec une attention soutenue, sentant chaque mot comme une flèche qui transperce notre bulle de bonheur. Ses larmes m'arrachent un pincement au cœur, et je m'en veux de ne pas avoir remarqué plus tôt à quel point elle était mal. Je me retiens de lui poser des questions, la laissant me dire ce qu'elle à me dire.

Je sens mon cœur se serrer davantage en entendant Rachel me dire qu'elle espère que je pourrai lui pardonner ce qu'elle s'apprête à révéler. Cela me touche profondément, mais je suis loin de me douter, ce qu'elle s'apprête à me dire. Quand elle évoque la soirée entre collègues, je me rappelle vaguement de cette sortie. Je l'écoute attentivement, mais déjà un voile de confusion commence à jaillir dans mes pensées. Les mots peinent à franchir ses lèvres, son malaise se fait sentir alors qu'elle cherche ses mots. Elle finit par avouer quelque chose, mais la signification m'échappe. L'aveu de "céder à une attirance" me blesse, mais je ne comprends pas pleinement ce qu'elle veut dire. Mes pensées sont embrouillées, mais une idée persiste : Rachel a embrassé un autre homme. Un sentiment de trahison s'installe, et je sens une douleur sourde dans ma poitrine. Mes mains se crispent instinctivement, mais je lutte pour conserver mon calme. « Rachel... Je... Je te remercie de ta sincérité. Je sais que cela n'a pas dû être facile pour toi » lui dis-je doucement, tentant de dissimuler la douleur qui serre mon cœur. « Mais... Je ne sais pas encore comment je vais pouvoir assimiler tout cela. »

Je ressens toute la douleur dans ses paroles, et la voir ainsi me brise le cœur.  Mon instinct me pousse à l'enlacer et à la réconforter, mais je suis paralysé par la confusion et la tristesse qui m'envahissent.  Mes pensées s'entremêlent alors qu'elle exprime sa honte et ses regrets. Je ressens le poids de ses paroles, tout en luttant pour comprendre. Pourquoi n'a-t-elle pas partagé cela plus tôt ? Pourquoi a-t-elle gardé cela en elle si longtemps ? Je la vois essayer de se calmer, de retrouver un semblant de normalité. Mon cœur se serre en voyant sa peine, et j'aimerais tellement pouvoir lui apporter le réconfort dont elle a besoin. Cependant, je suis dérouté, perdu dans un tourbillon d'émotions, mais une partie de moi reste figée sur une simple pensée : ce n'était qu'un baiser, après tout.... « Rachel... » Ma voix tremble légèrement, empreinte de douleur contenue. « Ce n'était qu'un baiser, après tout... » Je lui offre un regard empreint de compassion, espérant lui transmettre un peu de réconfort malgré l'amertume qui pèse sur moi. Mais le doute s'empare de moi, elle ne semble pas réagir. Je me redresse, sentant le besoin de clarifier les choses. « Rachel, ce n'était qu'un simple baiser, n'est-ce pas ? Rien de plus qu'un baiser ? » Je cherche désespérément dans son regard une confirmation que ce n'était rien de plus qu'un moment de faiblesse. Juste un baiser sur un moment d'égarement et rien de plus...

La douleur se lit sur le visage de Tobias. Il a l'air tout simplement abattu. Je l'ai trahi et le prix à payer est immense. Je me maudis intérieurement, j'aurais dû me taire. Ne jamais lui dire ça. Continuer de souffrir en silence. Mais le secret qui grandit dans mon ventre ne peut plus durer. Peut-être que cette erreur me suivra toute ma vie. Les larmes qui me montent aux yeux ne tarissent pas et ma gorge se noue au point que je n'arrive pas à dire ce que j'ai sur le cœur. Il commence par me dire qu'il me remercie d'avoir parler. Un pauvre sourire apparait sur mes lèvres, ne montant pas jusqu'à mes yeux empli de tristesse. Il me remercie d'avoir parlé et tente de rester courtois. Mais je vois bien qu'il est blessé. « Je comprends, c'est normal. Prends le temps qu'il te faut.  » Je dis alors, profondément navrée pour lui.

Je me mouche et pleure encore alors que je sens Tobias tendu comme jamais. Hésitant. Qu'est-ce qui se passe dans ses yeux ? J'ose à peine le regarder. Puis il me parle d'un baiser. Quand il m'appelle par mon prénom, mon cœur bondit. Il en veut la confirmation. Il s'accroche à cela comme un noyé à sa bouée. Je ne peux plus mentir. Maintenant que j'ai ouvert mon coeur, je vais aller jusqu'au bout. Je secoue la tête négativement, retenant mes larmes cette fois. « Toby… » Je commence d'une voix brisée. « J'ai beaucoup bu, je ne savais plus ce que je faisais.. Non. Il n'y a pas eu qu'un baiser.  » J'ai si honte ! Je rougis vivement, j'ai envie de disparaître six pieds sous terre. « Je t'assure que j'ai jamais voulu te faire de mal ! C'était… une soirée si étrange. Je me rappelle même pas de son visage ! C'était juste une folie. Rien qui compte. Ce moment n'existe pas pour moi. Je ne veux que toi dans ma vie. » Mes mots sortent tous ensemble, dans une véritable torrent d'excuses et d'explications. Est-ce que Tobias pourra comprendre tout cela ? Va-t-il me mettre dehors ce soir ? Il ne supportera peut-être même plus d'être dans la même pièce que moi ? A cette idée, mon coeur se brise.

Impossible d'aller au bout. Lui dire que je suis enceinte, est-ce que ça a le moindre sens ? Il a déjà tellement à assimiler. Je ne me sens pas légitime à en parler. Je ne veux pas avoir de la pitié par rapport aux conséquences de mes actes. Je me mords la lèvre, me retiens de finir comme une serpillière à ses pieds. Dans un murmure, j'annonce simplement. «  Je t'aime. Je suis désolée. » Les mots ne suffiront sûrement pas. J'ai peur. Si peur. Je vais tout perdre pour une soirée arrosée qui m'a fait perdre la tête. Pour une attirance pour un inconnu. Qu'importe. Je ne tiendrais plus ma langue ce soir. Alors je balance tout, les larmes aux yeux coulant sur mes joues. « Et je viens d'apprendre que je suis enceinte. » L'annonce d'une grossesse devrait être plus réjouissante. Mais tout cela tombe mal et je n'ai pas le choix, je ne veux plus rien lui cacher plus longtemps. Je me lève et m'écarte de lui, souhaitant voir dans ses yeux s'il désire toujours ma présence à ses côtés ou non. Je ne supporterais pas qu'on se déchire davantage. Maintenant tout est entre ses mains. La suite de notre histoire ne dépend que de lui.

Je reste là, Rachel en face de moi, ses mots résonnant comme un coup de poing dans l'estomac. Elle a embrassé un autre homme. Je suis figé, incapable de bouger, mon esprit tournant en boucle, essayant de digérer ce qu'elle vient de dire. C'est comme si tout s'effondrait autour de moi en un instant. Chaque seconde qui passe, je me débats avec un mélange de colère contenue et d'incompréhension profonde. Je murmure son prénom, essayant de contenir la tempête en moi. La trahison. C'est ce que je ressens le plus intensément à cet instant. Ce sentiment qui serre mon cœur et refuse de me laisser en paix. Comment a-t-elle pu me faire ça ? Nous faire ça ? Nous avons construit tant de choses ensemble, surmonté tant d'obstacles. Et maintenant, voilà que tout est remis en question. Je finis par me reprendre. Un baiser, après tout, ce n'était qu'un baiser. C'est ce que j'essaie de me convaincre, mais au fond de moi, je sais qu'il y a plus. Alors je lui demande confirmation. Mais non, il y a plus qu'un baiser. Mon souffle se coupe. Chaque fibre de mon être semble se contracter sous le choc de cette révélation. Je laisse ma tête tomber entre mes mains, fixant le sol, incapable de la regarder.

Sa voix est un murmure éteint, chargé de remords et de regrets. Ses mots résonnent dans le silence tendu de la pièce, mais ils ne parviennent pas à apaiser la tempête qui fait rage en moi. Je déglutis difficilement. « C'était qu'une erreur… N'est ce pas ? » Mais au fond de moi, je sais que c'est bien plus que cela. Chaque mot qu'elle a prononcé résonne dans ma tête comme une sentence que je ne peux pas encore digérer. Un baiser. Une nuit d'égarement. Et maintenant, cette nouvelle bouleversante : elle est enceinte. Je reste là, mon cœur battant à tout rompre, chaque pulsation comme un coup de marteau. Je sens mes jambes flancher mais je ne peux pas rester assis. « Pardon, enceinte ? Mais de combien ? Tu en es sûre ? » Je me lève doucement, avançant vers elle. Le choc me traverse comme une décharge électrique. Un petit sourire s'accroche sur mon visage, jusqu'à ce que mon cerveau se pose une question. Et si c'était de cet homme ? Alors ce sourire s'efface. Moi qui allais lui prendre les mains, je me retiens. Je la regarde. Je ne sais pas quoi faire, quoi dire. La colère, la douleur, le désespoir se disputent mon cœur.

Je me mets à faire les cent pas, mes pensées en désordre, chaque pas une tentative de maîtriser le chaos intérieur. « Rachel… » Ma voix est à nouveau un murmure, rempli d'une tristesse que je ne peux pas exprimer. Je voudrais la serrer dans mes bras, lui dire que tout ira bien, mais cette fois-ci, les mots restent coincés dans ma gorge. « Est-ce que... ça se peut que c'est lui qui... » Je m'interromps, incapable de finir ma phrase. Je veux poser des questions, mais je crains les réponses tout autant.

C'est pas réel n'est-ce pas ? Je suis pas vraiment en train de piétiner le cœur de l'homme que j'aime depuis dix ans ? Celui que j'ai sorti de l'alcool, celui que j'ai remis dans le droit chemin à mainte reprise, celui qui m'a tant soutenu. Celui avec qui j'ai acheté cette maison avec des rêves plein la tête. Celui qui a accepté de déménager à Glenshade avec moi il y a deux ans pour réaliser le rêve de ma vie et avoir cette première promotion dans la police ? Tobias est mon tout. Le socle de ma vie, je l'ai construit avec lui. Oui, j'ai été curieuse de savoir ce que ça faisait d'embrasser un autre homme. Sous l'influence de l'alcool, de la fatigue, d'une enquête longue et terrible enfin résolu, mais je sais que tout ça n'excuse rien. Plus qu'un baiser, l'alchimie qui en a suivi, alors que je n'étais pas dans mon état normal, a peut-être créé ce qui grandit en moi. Ce n'est pas rien. Je ne pouvais pas faire comme si de rien n'était. Ce n'est pas moi. Mentir à Tobias, ça ne me ressemble pas. Mais je suis sûrement la dernière des égoïstes à lui balancer ainsi ma cruelle trahison à son égard. A notre égard. Et je ne sais que faire désormais en guise de pénitence.

« Une erreur que je regrette à chaque instant. » Je lui réponds, essuyant mes larmes, ne pouvant imaginer le choc qui grandit en lui au fur et à mesure que les détails sont évoqués. Je lui affirme que je l'aime. Que je suis désolée et pourtant j'ajoute que je suis enceinte, dans ce contexte déjà tragique. « De deux mois… Le médecin me l'a annoncé hier. » Je sais que l'avortement n'était pas dans nos projets. On veut tous les deux avoir notre propre famille. Alors est-ce un cadeau du ciel ou une malédiction ? Il se lève, je vois qu'il me sourit. C'est un rêve qu'on touche du doigt ensemble, mais je ne voulais pas lui cacher ce que j'ai fait. Même si je m'en mords actuellement les doigts en voyant les dégâts que je provoque dans le cœur de celui que j'aime. Il m'appelle par mon prénom, je relève la tête. Il va vouloir savoir… et la vérité c'est que j'aimerais aussi pouvoir répondre à cette interrogation. Le silence est épais entre nous, pèse et nous écrase mais je me dois de lui répondre.

« Les dates correspondent. Mais tu pourrais aussi bien être le père. Je voulais te proposer de faire un test ADN…  » Je suis forte. J'ai séché mes larmes et je dois assumer la conséquence de mes actes. Je sais qu'il a été abandonné par son père et que c'est une chose qu'il n'imposerait à personne. Mais je ne peux tout simplement pas lui demander l'impossible. La pression m'écrasant en tout sens, je me lève moi aussi, ayant besoin d'être dans l'action. « Tobias… Je ne voulais pas te le cacher. Tu m'as toujours aimé tel que je suis et c'est pourtant cette même personne qui a dérapé il y a deux mois. Tu sais tout à présent… Que je t'aime. Que je regrette. Et que je porte un enfant qui n'est peut-être pas le tien. » C'est dit. Bien que ce soit douloureux, une partie de moi est profondément soulagée d'avoir pu dire la vérité. « Je comprendrais que tu aies besoin de temps pour réfléchir. Et…  » Ma voix se noue et je perds courage. Tobias, je t'aime tellement. «  Et je comprendrais que tu ne veuilles pas me voir pendant un certain temps. Je vais aller dormir au commissariat ce soir. »

Je file déjà dans la chambre, rassemble mes affaires pour demain, ma trousse de toilettes, les médicaments que le docteur m'a donnés pour m'aider dans mes nausées et je ressors, notre chat passant rapidement entre mes jambes mais qui fuit face à ma nervosité. Je tremble de tout mon corps sous l'émotion que je contiens. Sous le chagrin qui me bouleverse et me pousse à partir, pour ne pas lui imposer tout ce que j'ai annoncé  plus longtemps. « A demain Toby.  » Il faut que je parte, sinon je vais pleurer à nouveau. Je dois mettre de la distance car je ne supporte pas qu'il hésite à me toucher, à me prendre dans ses bras et à me consoler. J'ai des amis proches au commissariat qui sont de garde ce soir. Je sais que je ne serais pas seule. J'aimerais qu'il fasse de même et s'entoure de ses amis pour surmonter cette mauvaise passe. Mais comme je suis responsable de sa tristesse, je ne peux pas rester plus longtemps ici. Sauf bien sûr, s'il me le demande. Voilà pourquoi ma main reste figée au-dessus de la poignée de la porte d'entrée. Je ferme les yeux. Je veux qu'il me retienne. Sauf que la trahison est trop grande et je dois accepter qu'il me rejette le temps dont il aura besoin. Et s'il ne veut plus jamais me revoir ? Non. Je préfère ne pas penser à ça.

Chaque mot qu'elle prononce semble peser des tonnes sur mon cœur déjà lourd. C'est comme si des épées transperçaient mon être de part en part. Deux mois. Elle est enceinte de deux mois. Je me lève lentement, mes jambes tremblantes peinant à me soutenir. Son regard croise le mien, et malgré la confusion qui règne en moi, je plonge dans ses yeux à la recherche de réponses qui semblent hors de portée. Le silence s'étire entre nous, oppressant, comme s'il voulait étouffer toute possibilité de réconciliation. Mais je sais qu'il faut que je sache... Elle m'annonce que les dates correspondent, que je pourrais être le père tout comme cet autre homme avec qui elle a couché. Je reste muet, incapable de trouver les mots appropriés, même si j'en avais la force, rien ne sortirait. Elle se lève à son tour, semblant submergée par l'émotion et le poids de cette vérité, me rappelant les sentiments que j'ai pour elle, qu'elle est la même que hier, la même qu'il y a des mois... Je détourne le regard un instant la laissant parler sans lui répondre. Elle prends cela comme une approbation sans doute, alors s'en va dans notre chambre pour préparer quelques affaires.

Seul dans le salon, une vague de nostalgie m'envahit. Tant de souvenirs défilent devant mes yeux. Elle a été celle qui m'a sauvé, celle qui m'a rendu meilleur. Avant elle, ma vie était une série de mauvais choix, de blessures infligées à ceux qui m'entouraient. J'ai fait des erreurs, j'ai blessé des gens. Mais elle... elle a été ma lumière dans l'obscurité, celle qui m'a montré comment être un homme différent, comment être aimant, comment être digne de confiance.  Comment une femme aussi bien qu'elle a-t-elle pu me tromper ? Cela doit être de ma faute, je dois avoir fait quelque chose pour la pousser à un tel acte. Peut-être que je ne lui ai pas montré assez d'amour, pas assez de soutien. Peut-être que je l'ai négligée. Est-ce que c'est ça, le karma ? Est-ce que c'est ma punition pour les cruautés que j'ai commises autrefois ? Je me pince l'arête du nez, essayant de calmer la tempête qui fait rage en moi. Quand elle se dirige vers la porte, sa main sur la poignée, je sens le besoin viscéral de l'arrêter. « Rachel, attends. » Ma voix est à peine audible, tremblante de douleur et de confusion.  Je prends un moment pour rassembler mes pensées, cherchant les mots justes. Je sens la brûlure des larmes que je retiens, ma gorge se noue. « Je ne peux pas... je ne peux pas simplement te pardonner comme ça. Ce que tu as fait... cela me détruit, et je ne sais pas si je pourrai surmonter ça... » Mes poings se serrent instinctivement, puis se relâchent, mes doigts tremblant légèrement. « Mais je sais que je ne veux pas que tu partes... »

Je fais un pas vers elle, mais m'arrête à mi-chemin, mes pensées sont un tourbillon d'émotions contradictoires : la tristesse, la colère, l'incompréhension. Mais au fond de moi, il y a encore cet amour, ce lien indéfectible qui refuse de se briser malgré tout et je lutte contre l'envie irrépressible de la serrer dans mes bras, de tout effacer d'un simple geste. « Reste... s'il te plaît. Je ne peux pas te promettre que je serai capable de te pardonner. Mais je ne peux pas non plus te laisser seule dans cet état. Pas avec ce... avec cet enfant. » Les mots sortent de ma bouche avec une lourdeur que je ne peux dissimuler. Je la regarde à nouveau, essayant de capter son regard malgré l'émotion qui m'envahit. « Reste ici. Je dormirai sur le canapé dans la chambre d'amis. » Ma voix se brise légèrement, l'émotion me submergeant malgré mes efforts pour la contenir.

Jusqu'à maintenant, j'avais réussi à me maintenir, mais je sens soudain une larme rouler le long de ma joue. D'un geste presque automatique, j'essuie cette marque de ma peine d'un revers de la main. C'est la première fois qu'elle me voit pleurer. Même à l'enterrement de mon père, je n'ai pas versé une larme devant elle... Mes yeux se ferment brièvement, je prends une autre profonde inspiration, essayant de maintenir un semblant de calme et de ne pas céder à mes émotions. « Restons ici, ensemble, mais séparément. Et donnons-nous quelques jours pour y voir plus clair. D'accord ? »

Je n'ose plus respirer. Tout mon corps se crispe, désespéré d'entendre quelque chose. Je sens son regard sur moi, il m'a suivi dans l'entrée. J'ai ma valise, j'ai dit que je partais et pourtant, je suis encore là. Quelle idiote ! J'ai les larmes aux yeux. Puis j'entends ce murmure qui me retient. Oh Toby. Mon cœur est crevé quand j'entends qu'il me retient. Je me retourne doucement et l'écoute, les mains accrochées à la poignée de ma valise. Sa voix sort difficilement, je sens qu'il est sous tension, comme moi. Plus triste que jamais. Impossible de me pardonner pour l'instant. Je lui ai fait trop mal. J'acquiesce douloureusement, portant ma main à ma bouche, sentant ma détresse m'échapper. C'est trop. Tobias souffre par ma faute. Je devrais m'enfuir et le laisser tranquille. Mais ce n'est pas si simple n'est-ce pas ? Il parle de l'enfant et je pose ma main sur mon ventre. C'est la première fois que je le fais. Pour moi c'était plus une source de confusion qu'un enfant jusqu'à présent. Mais Tobias a une vision plus douce de la vie et cela me touche dans ce moment si dramatique.

Il a les poings fermés, il gère de son mieux son désarroi lui aussi en déclarant qu'il ne veut pas que je parte. Ma main sur ma bouche étouffe le son d'un sanglot qui m'échappe. « Oh Tobias… Je suis tellement désolée…  » Je me répète mais ça ne sert à rien, pas vrai ? Il veut que je reste, prendra la chambre d'ami. Je ne peux pas cacher les larmes qui coulent une à une sur mes joues. J'aime cet homme. Plus que tout au monde. Je m'aperçois que moi non plus, je ne veux pas me séparer de lui. J'allais protester et lui proposer de prendre la chambre d'ami mais je fais un pas vers lui et vois qu'il ne peut pas non plus contenir sa peine. Je suis sidérée. Jamais je ne l'ai vu pleurer. Je l'ai vraiment déçu. J'ai l'impression que je ne pourrais plus jamais me regarder en face. J'essuie moi aussi mes larmes, profondément peinée. Il inspire, se calme. Mon Toby est tellement fort. Ce que je peux l'aimer. Ce que j'ai été bête. « D'accord. Merci. » Si c'est ce qu'il veut, je vais faire de mon mieux. Je passe devant lui, prends sa main pour la serrer. C'est trop dur, ma gorge se noue aussi quand je le regarde à nouveau. « Je t'aime.  » Je lui dis avant de m'éloigner pour aller m'enfermer dans notre chambre.

C'est si intense. Je suis plongé dans un cauchemar. Je pleure de tout mon saoul et fais de mon mieux pour étouffer mes sanglots dans mon oreiller. Tobias. Comment ai-je pu te faire ça ? Je déteste ce qui grandit en moi en cet instant. Sans ça, peut-être que ça aurait été plus simple ? Peut-être j'aurais pu garder le secret ? Je ne sais pas si c'est mieux. Docteur Garvey m'a été d'une grande aide et m'a beaucoup rassuré pendant notre discussion. Que c'était jamais une bonne idée de se mentir. Est-ce que ma tromperie révèle quelque chose de plus profond ? De plus complexe ? Pour moi, c'était simplement l'attrait de la nouveauté. Je n'ai jamais rien pu comparer… C'est bête. C'est puérile que j'ai laissé l'alcool m'éloigner de mes principes. M'éloigner de l'homme que j'aime. Je ne boirais plus jamais. Ou j'irais voir un psy ? Oh Seigneur ! Quelle situation impossible ! J'ai tant de mal à m'endormir cette nuit-là. Mais la vie continue. Je dois me lever tôt pour aller courir, puis travailler. Je rapporte comme à mon habitude des viennoiseries que je laisse sur la table. Je ne vois pas Toby ce matin et je fais ma journée.

Cette semaine, je m'arrange pour manger chez des amis, sortir. Faire des sorties avec les collègues ou travailler le plus tard possible. Est-ce que je le fuis ? Je sais que s'il veut passer du temps avec moi, il m'enverra un message. Je pense qu'il fait de même avec son café, s'occupant de travail pour soigner petit à petit son cœur meurtri. Ce matin-là, je laisse sur la table un mot.


Fébrile, je regarde mon téléphone portable toute la matinée. Est-ce qu'il a vu le mot ? Est-ce qu'il viendra ? Je finis par lui envoyer un SMS, histoire d'en avoir le cœur net. Même s'il dit non, ce n'est pas grave. Il y en aura d'autres. Mais c'est la toute première de ma vie et j'ai peur. J'ai besoin de lui. Sinon, Kelly m'y accompagnera. Elle est au courant de toute l'histoire car je ne peux pas cacher ma nervosité avec elle. Heureusement, j'arrive à jouer le jeu devant mes collègues, sinon je serais foutue. L'heure arrive et je prends la voiture direction l'hôpital. Mon coeur saigne. Ce qui se passe dans mon ventre n'a pas de sens. Tout ce que je ressens, c'est tristesse et désespoir. Alors j'attends devant l'entrée, plus fébrile que jamais.

Je la regarde, debout dans l’entrée, sa valise à la main. Quand elle se retourne à mon appel, le poids de nos émotions mêlées nous oppresse tous les deux. Je lui ai demandé de rester, mais je sais que ce n’est qu’un premier pas. L’entendre s’excuser me brise un peu plus, chaque mot de regret me transperçant le cœur. Elle pose une main sur son ventre, un geste si naturel, si instinctif, et pourtant, cela m’ébranle profondément. Elle prend conscience de ce que signifie réellement cette grossesse. Je vois dans ses yeux qu’elle comprend enfin la gravité de la situation, tout comme moi. Sa voix tremblante, ses sanglots étouffés, tout cela me montre à quel point elle souffre aussi. Mon dieu... j'ai tellement envie de la prendre dans mes bras... Oui j'ai envie, mais je ne peux pas, c'est plus fort que moi, car je boue aussi de rage encore.

Quand elle me remercie, une vague de tristesse m’envahit. "Merci" semble si dérisoire face à la douleur que nous ressentons. Elle veut essayer, tout comme moi. Elle fait un pas vers moi, serre ma main, et je ressens toute sa peine, toute sa culpabilité à travers ce contact. Son "je t'aime" est à la fois une confession et une supplication, un rappel de ce que nous avons été, de ce que nous pourrions encore être. Même si je pense à "moi aussi" je ne le dis pas, c'est trop tôt. Trop frais. Je ne sais pas d'ailleurs si je pourrais lui dire. Car même si je l'aime, je ne sais pas si je suis capable de pardonner, de passer à autre chose. Ça ne sert à rien que je reste avec elle si c'est pour lui reprocher cela à la moindre occasion. Alors, non, je ne dis rien, pas encore. J'ai besoin de temps, un peu plus de temps.

Je la regarde partir vers notre chambre, sentant mon cœur se serrer davantage. Seul dans le salon, je me laisse enfin aller. Jusqu'à maintenant, j'avais réussi à me maintenir, mais je sens soudain une larme rouler le long de ma joue. Et je la laisse glisser et les autres aussi. Je pleure en silence. Peanut arrive et me donne des coups de tête. « On va faire quoi... » je lui demande tout en sanglotant, avant de le prendre avec moi pour aller essayer de dormir un peu.

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Les jours suivants sont un flou de routines modifiées, de silences lourds et de réflexions incessantes. Rachel et moi vivons sous le même toit, mais nous évoluons comme des étrangers, des fantômes. C'est à peine si on se croise à vrai dire. Je reste au Cattocino dès que j'en ai l'occasion et des fois quand je rentre elle n'est pas là. Je suis soulagé de ne pas la voir et en même temps je suis triste car elle me manque. Son sourire me manque, ses attentions, sa voix, tout me manque en réalité. Elle continue de laisser des viennoiseries sur la table chaque matin, un geste simple mais lourd de signification. Et moi, je continue de faire son café et lui garder les restes de repas, sachant pas vraiment si elle mange ici ou ailleurs. C'est dur, j'ai l'impression qu'on est deux marionnettes, je sais pas combien de temps ça va durer ce petit truc, mais c'est dur. Quand je me dis que je vais lui dire que je lui pardonne, je la vois coucher avec un autre et la colère arrive. J'ai même eu l'envie de boire, mais j'ai juré de plus toucher à ça, mais l'envie reste là pas loin...

Un matin, je trouve un mot sur la table. "RDV chez le gynéco pour la 1ère écho à l'hôpital à 12h30. J'aimerais vraiment que tu viennes. Je t'aime, mais fais comme tu le sens surtout. Kiss, Rachel." Je le lis et relis, le papier tremblant dans mes mains. Mon cœur se serre à l’idée de cette première échographie. C’est un moment que nous avions toujours rêvé de partager, et pourtant, maintenant, il est teinté de douleur. J'imaginais pas ça comme ça... Je passe la matinée à travailler, essayant de me concentrer, mais mes pensées reviennent sans cesse à ce rendez-vous. Puis je reçois un SMS, Rachel me demande si je vais venir. Je veux lui répondre que j'en sais rien, je commence à écrire, puis je me ravise et je n'envoie rien. Elle va juste voir des petits points et espérer une réponse qu'au final n'aura jamais... Je crois que je veux pas y aller... Je vais pas y aller, non.. Après un long moment à tourner et retourner le cerveau dans tous les sens, je prends une décision. Je ne peux pas la laisser affronter ça seule, peu importe ce que je ressens. Puis c'est peut-être mon enfant et même si ça l'est pas, je peux pas la laisser gérer ça seule. Je suis pas un connard, du moins j'en suis plus un, non ? J'arrive un peu en avance, 2-3 minutes, c'est pas énorme, puis même si je serais arrivé en retard, de toute façon les médecins sont jamais à l'heure alors bon... Je la vois au loin debout, l'air perdue. Je m'approche d'elle doucement. « Rachel... » Je la surprends et elle se retourne vers moi. J'esquisse un sourire que je perds aussitôt, son visage m'a manqué, je suis heureux de la voir, mais en même temps encore remonté. Je suis triste, en colère et pleisn d'autres émotions que je peux pas décrire, je sais juste que j'ai mal au bide et j'ai comme un noeud dans la gorge. Je sais pas quoi lui dire de plus, je baisse les yeux. Mais je peux pas rester comme ça, si je suis là, je dois l'être à 100% et me comporte comme le mec que je suis ! Alors, du bout de mes doigts, j'attrape sa main. « Je vais pas te laisser traverser ça seule... » Mes mots sont fermes, une promesse que je me fais à moi-même autant qu'à elle. Que ce petit soit de moi ou non, qu'on reste un couple ou non, je me fais la promesse de pas la laisser seule dans cette situation.

Je sursaute quand j'entends mon prénom. Sa voix. Oh Tobias ! Je suis si heureuse de le voir, j'avais l'impression de manquer d'air et maintenant qu'il est là, de pouvoir enfin respirer comme j'en ai besoin. Je coupe mon élan quand, par réflexe, je m'apprête à lui sauter dans les bras. « Tobias… » Je lui réponds avec un petit signe de la main, remettant une mèche de cheveux derrière mon oreille en détournant le regard pour ne pas le mettre mal à l'aise. Car il ne sourit pas. Mon Dieu, j'ai l'impression que depuis qu'on se connaît, on a jamais eu une conversation aussi tendue ! Il finit par prendre ma main et je lis quelque chose de fort dans son regard. Quelque chose de beau. Qu'il matérialise par sa révélation. Toby ne va pas me laisser seul. Ses mots tombent directement dans mon cœur pour le gonfler d'amour et de reconnaissance. Je caresse sa main en retour, lui souriant, la gorge nouée. « Merci. » Est le seul mot que j'arrive à articuler tout en me retenant de pleurer.

Je prends une grande inspiration et ajoute. « On y va ?  » Je serre un peu sa main pour nous donner du courage et nous entrons dans l'hôpital, direction le service gynécologique. On s'assoit dans la salle d'attente et je reste nerveuse, relâchant sa main en espérant ne pas trop avoir abusé de sa bonne volonté. Malgré moi, je cherche dans ses yeux s'il a changé d'avis. S'il m'aime toujours. S'il est prêt à me pardonner. Pourquoi cette impatience ? Parce que je l'aime, que je ne sais pas faire ma vie sans lui mais que je dois attendre car c'est beaucoup ce qui nous est arrivé. Ce que j'ai fait. La trahison qu'il a dû ressentir. Comment je l'aurais vécu, moi ? Mal certainement. On appelle mon nom et je me lève, me dirigeant vers la porte avec Toby à mes côtés. Ma sage femme nous reçoit. Elle est douce, je lui ai dit que je n'étais pas sure que le père vienne et elle nous fait aucune remarque autre que son sourire accueillant. L'examen commence, on me met du gel sur le ventre, c'est froid, c'est bizarre. Je regarde Toby plutôt que le moniteur avec l'image qui s'affiche.

Quand je vais me retourner, je vais voir le petit habitant que j'ai dans le ventre. Oh non ! Je ne suis pas prête ! Ah ! Mais il est là… C'est fou d'être confronté à cette réalité. J'ai peur. J'ai besoin de Tobias, de sa main. Il a peur avec moi ? C'est la voit de la sage-femme qui me ramène à la réalité. Attendez. Elle a dit quoi là ? « Félicitations, tout le monde va bien. Vous portez des jumeaux Mademoiselle Spencer. » Je reste sidérée, les yeux en soucoupe. « Deux ? » Elle acquiesce, je me tourne vers Toby, complètement paumée. « Deux ! » Je répète sous le choc.  Puis une autre question d'envergure nous est posée. « Vous voulez connaître leur sexe ? Ce ne sera pas encore sûr à 100% mais…  » Mes yeux plongent dans ceux de mon âme-sœur. Oh s'il te plaît Tobias, aide-moi… Je crois que ça fait déjà trop d'émotions pour une seule journée.

Elle murmure mon nom et me fait un petit signe de la main. C'est comme si elle voulait me montrer qu'elle est là, qu'elle tient encore, même si tout semble fragile entre nous. Je prends sa main, sentant la chaleur de sa peau contre la mienne, et je lui dis que je vais pas la laisser traverser ça seule. Mes mots sont peut-être durs à prononcer, mais je sais que c’est la vérité. Quand elle me remercie, je vois ses yeux briller, et même si c’est juste un mot... Je sais ce que ça veut dire pour elle, ce que ça coûte. Puis elle prend une grande inspiration et me rpoposant d'y aller. J’acquiesce simplement, la gorge serrée. « Ouais… on y va. » C’est tout ce que je trouve à dire, mais c’est assez pour nous faire avancer ensemble vers l’inconnu.

On entre dans l'hôpital, ma main serrée dans la sienne, un geste qui semble normal, mais pourtant ça ne l'est pas. Enfin ça ne l'est plus. Avant c'était par amour, mais là j'en sais rien plus un soutient émotionnel je dirais... Dans la salle d'attente, elle relâche doucement ma main, probablement pour me laisser de l'espace, chose que j'apprécie, je suis seul face à mes pensées. Je la regarde du coin de l'œil, cherchant des signes, quelque chose pour comprendre ce qu'elle ressent, ce qu'elle espère. Moi, je suis un peu perdu, mais je sais que je dois rester là pour elle, pour nous. Quand on appelle son nom, je la suis, sentant une boule se former dans mon estomac. L'examen commence, et j'essaye de me concentrer, mais c'est difficile. Le gel sur son ventre, le moniteur, tout ça rend la situation encore plus réelle. Je peux voir dans ses yeux qu'elle a peur, qu'elle a besoin de moi là, maintenant. Mais moi, je suis aussi paumé qu'elle. Et puis la bombe tombe : des jumeaux...

Le choc me frappe de plein fouet. Des jumeaux. Je fixe l’écran sans vraiment les voir, comme si mon cerveau refusait de traiter l’information. Rachel répète le mot, et je le ressens comme une vague qui m'emporte. Je détourne les yeux de l’écran pour croiser le regard de Rachel. Elle est désemparée, et je peux voir sa panique, son besoin de réconfort. C’est dans ces moments-là que je me rends compte à quel point elle compte sur moi. Et malgré tout ce qu’on traverse, malgré la colère qui ne s’est pas complètement dissipée, je sens un devoir, une responsabilité. Pas seulement envers elle, mais envers ces deux petites vies qui sont maintenant en jeu. « Deux… ouais. » Je murmure, plus pour moi que pour elle, comme pour me convaincre que tout ça est bien réel.

Deux. Deux vies. Deux bébés. Et une chance sur deux qu’ils soient à un autre mec. J’arrive à peine à respirer. Rachel me regarde, totalement paumée, et moi… je sais pas quoi lui dire. Puis la sage-femme nous demande si on veut connaître leur sexe. Encore une fois je fixe Rachel et elle me fixe en retour, attendant que je dise quelque chose de plus, que je fasse quelque chose pour lui montrer que tout va bien aller. Mais la vérité, c’est que j’en sais rien. On a 50% de chances que ces bébés soient à moi, 50% qu’ils soient à cet autre mec. C’est comme jouer à pile ou face. Je plonge mon regard dans celui de la blonde, essayant de mettre de côté cette colère sourde, cette douleur qui refuse de partir. Mais c’est dur, terriblement dur. Y’a cette part de moi qui veut juste fuir, tout plaquer. Et puis y’a l’autre, celle qui sait que je peux pas la laisser seule, peu importe ce que je ressens. Ma voix est basse. J’aimerais pouvoir dire plus, trouver les mots justes, mais tout ça, c’est encore trop. « Pour le sexe... » Je fais une pause, cherchant mes mots. « C’est comme tu le sens. Si t’as besoin de savoir, on le fera ensemble. Sinon, on peut attendre... enfin... on peut pas le savoir si tôt toute façon ? Hein ? Si ? » Je pense que je ne l'aide pas du tout, mais j'ai la trouille, parce qu’en vrai, le sexe des bébés, c’est le cadet de mes soucis. Je sais que ça répond pas vraiment à ce qu’elle attend de moi, mais c’est tout ce que je peux offrir pour l’instant. Ce qui me hante, c’est de savoir si je vais pouvoir vivre avec cette incertitude, cette possibilité que ces enfants soient pas les miens. Mais pour l’instant, je garde ça pour moi. Parce que, malgré tout, je me suis promis de pas la laisser traverser ça seule. Donc je dois tenir ma promesse, être là pour elle, pour ces bébés, qu’ils soient de moi ou non, mais la vérité, c’est que je me sens complètement perdu.

Sa main dans la mienne est mon ancrage au milieu de la tempête d'émotion qui me frappe. Des semaines que je me cache l'information à moi-même. Pour tout dire, avant la semaine dernière et la demande d'analyse de sang de mon médecin, je n'avais pas envisagé pouvoir être enceinte. C'est une pure folie. Et pourtant, cet examen rend les choses bien réelles. C'est vraiment un détail insignifiant qui me fait paniquer. Si on veut connaître le sexe des bébés ? Mon regard se perd dans les yeux noirs de Toby. Il ne lâche pas ma main. Le silence s'étire et je vois différentes émotions passées sur son visage. Il est encore si soucieux. Non, il ne m'a pas pardonné. C'est une évidence maintenant et mon coeur se sert, la douleur m'aidant à remettre les pieds dans la réalité. J'acquiesce quand il me dit que c'est comme je le sens. Je m'éclaircis la gorge, après que la gynécologue nous ait rassuré sur le fait que de toute façon, ça ne serait qu'une prédiction, vu le stade de développement des embryons. « Alors on ne veut pas savoir pour l'instant. » Je dis, d'une voix presque tremblante.

Je me brise parce que je suis perdue. Je suis déchirée en deux. Ma trahison est si violente et si j'en porte le fruit en mois aujourd'hui, peut-être que Tobias ne me le pardonnera jamais. Est-ce que je peux vivre avec ça ? L'idée que j'ai trahi l'homme que j'aime et le paie le restant de mes jours ? Résolue, je me redresse alors que l'examen est terminé. Je me racle la gorge pour attirer l'attention du médecin. « Et à propos… du test ADN ? » Je m'en fous de ce que les autres penseront de tout ça. C'est important pour Tobias et moi. C'est la seule chose que je peux faire pour le rassurer. Je pense qu'il y a plus de chance qu'ils soient de lui de toute façon. Mais je suis une idiote de ne pas m'être protégé avec un inconnu. Je ne veux plus rien savoir de ce cuisinier de toute façon. Il a été aussi irresponsable que moi dans cette histoire. Sauf que c'est moi qui en paie le prix fort. La gynécologue acquiesce et se tourne vers Tobias. « Nous avons besoin de votre accord, ainsi que d'un échantillon de salive et d'un cheveu. Mais il faudra attendre un mois pour les résultats. » Nous prévient-elle avec beaucoup de douceur. Elle repousse ses lunettes sur son nez en ajoutant.

« Les embryons ont neuf semaines. Ils vous restent peu de temps si vous préférez un avortement. » Mon cœur se glace et je pose mes mains sur mon ventre, comme si on m'avait planté dans l'abdomen. « Si… je résume Toby, nous n'aurons pas la réponse de ta paternité à temps pour… » Mais ma main se plaque sur ma bouche. Je n'ai plus d'air et j'ai des larmes qui coulent d'un coup alors que je pleure malgré moi. Non ! Non, je veux me montrer forte ! Mais les derniers jours ont été si éprouvant. De ne pas pouvoir parler à Tobias, d'être face à moi-même dans cette terrible épreuve, perdue dans mon travail comme unique échappatoire, ça a mis les nerfs à rude épreuve. Nous n'avons même pas pu parler de cette question. Est-ce que je veux mettre cette histoire derrière moi ? Avorter pour ne pas perdre l'homme que j'aime ? Il a lui-même été adopté, je ne sais pas ce qu'il a envie de faire. Élever les enfants d'un autre, c'est une épreuve que je ne peux pas lui imposer. Je mets plusieurs minutes à me ressaisir, n'arrêtant pas de m'excuser. La gynécologue me tend des mouchoirs et nous prévient que la séance est terminée et qu'elle veut nous revoir rapidement pour savoir ce qu'on veut faire. J'acquiesce et en m'accrochant à Tobias, nous quittons la salle alors que je suis encore chancelante.